La fin justifie les moyens
Salut l'ami·e. Comment vas-tu en ce début de mois d'août ? Plutôt plombé·e par la chaleur ou enthousiaste à la vue de ce beau soleil ? Toujours une période particulière, ce mois d'août et sa bonne humeur estivale. On s'emplit d'espoir : espoir de s'évader, espoir de faire de nouvelles rencontres, espoir de découvrir de nouvelles contrées, espoir de prendre simplement du bon temps mais aussi espoir d'entamer de nouveaux projets.
C'est souvent durant cette période que l'on se permet les ruptures les plus nettes avec nos habitudes routinières du reste de l'année. Période des grandes vacances par excellence pour les plus jeunes, et ceux qui ont la chance de pouvoir en prendre. Qui dit vacances dit forcément tourisme, du moins en grande partie. L'économie du pays repose sur le fait que des millions de Français partent en vacances, encore plus en ces temps particuliers que nous traversons.
Le Saint Graal des vacances d'été à la plage
Le fait de pouvoir voyager et s'aérer l'esprit est sans doute bénéfique pour toutes et tous. Prise de recul, rupture avec certaines mauvaises habitudes, désengorgement des obligations parfois superflues que l'on s'impose, (glande sur le hamac), bon temps avec des personnes que l'on apprécie, (plages nudistes), activités à sensations fortes, détente, (soirées karaoké)... je te laisse compléter la liste à ta convenance.
Les sommes investies dans les vacances représentent souvent une partie conséquente de notre budget. Des heures, des heures et des heures de travail dirigées vers le soleil de l'eau salée. Les congés d'été représentent beaucoup pour nous ; congés pendant lesquelles nous allons essentiellement nous reposer, débrancher le cerveau et nous divertir. Il n'y a qu'à voir les principales sources de dépenses dans les stations balnéaires : glaces, restaurants, activités nautiques et spectacles en tout genre. C'est donc dans cela que l'on investit cette montagne d'heures ?
Contrairement aux idées reçues, la France est l'un des pays de l'Union Européenne où l'on travaille le plus. Ces heures supplémentaires permettent à certain·e·s d'entre-nous d'augmenter leurs revenus. Travailler plus pour gagner plus, me diras-tu. Avec cet argent, on s'achète des choses que l'on n'aurait jamais pu nous permettre sans ce travail acharné. Un home cinéma, une piscine creusée, un nouvel ordinateur ou une cafetière dernier cri. On peut aussi se permettre un bel hôtel all inclusive avec ménage et restauration à n'importe quelle heure de la journée, un tas de visites guidées qui nous affranchissent de cette tare de devoir réfléchir à l'endroit où l'on se trouve et nous renseigner par nous-mêmes, auprès de locaux remplacés pour la plupart par des saisonnier·ère·s.
En somme, on dépense notre argent pour nous distraire et nous affranchir de contraintes jugées asservissantes ou simplement fatigantes. Cette vision des choses se prête parfaitement à notre modèle économique reposant sur la consommation de masse. C'est vrai, que ferait-on sans pouvoir consommer ?
Ne t'inquiète pas mon ami·e, je ne suis absolument pas là pour des jugements de valeur bêtes et méchants. Chacun·e est libre d'investir son temps comme bon lui semble. J'ai simplement l'impression que notre société favorise ce mode de vie-là et nous détourne de nos véritables objectifs individuels et collectifs. À mon humble avis, nous gagnerions à être davantage sensibles au fait qu'il existe d'autres projets méritant tout autant notre attention, pour le bien de toutes et tous, sans nécessairement y investir d'argent.
Fins et moyens, kézako ?
Nous avons tou·te·s tendance, du fait des influences extérieures auxquelles nous sommes sensibles, à mélanger et faire chevaucher les deux grands ensembles que sont les fins et les moyens. Par fins, j'entends ce à quoi nous aspirons au plus profond de nous. Ces fins sont parfois floues, souvent changeantes, et s'adaptent à notre unique perception du monde. Si tu es sous champignons hallucinogènes, grandes sont les chances que tu aspires à secourir l'éléphant rose de Barbarie. Force à toi, camarade.
Cette capacité à rendre nos fins mobiles et malléables nous amène à naviguer vers un phare qui nous éclaire mais se déplace constamment. C'est néanmoins cette aptitude à toujours garder le cap dans la bonne direction, à travers vents, vagues et brouillards, qui donne du sens à notre vie. Cette quête s'achève à la date de notre mort sans manière objective de mesurer notre progression. C'est précisément ce paradoxe qui fait selon moi la saveur de notre existence. Le navire ne voguera pas éternellement. Nous devons donc faire des choix pour privilégier ce qui a le plus de valeur pour nous. C'est dès la formulation de ce constat que les moyens interviennent.
Les moyens, ce sont tous ces outils, matériels ou non, qui nous assistent dans cette grande expédition. De quoi avons-nous besoin, concrètement ?
- D'abord de moyens de subsistance : de l'eau, de la nourriture, un logement décent, une santé et des soins en cas de besoin, des relations sociales et affectives.
- De moyens de communication pour échanger au sujet de nos expériences mutuelles, de nos émotions, de nos opinions et de nos projets communs.
- De moyens organisationnels basés sur le partage et l'entraide.
- Et pour couronner le tout, des moyens financiers pour la partie matérielle, qui sont en quelque sorte le carburant du moteur.
En évoluant dans notre société, on réalise plus ou moins vite que l'on a tendance à considérer certains moyens comme des fins. Se cantonner à avoir une situation financière confortable, une belle maison, un budget suffisant pour nos divertissements favoris, des investissements rentables et de beaux vêtements sont autant de produits dérivés de cet état d'esprit. Tous nos efforts convergent vers ces objectifs. À vrai dire, s'agit-il vraiment d'une direction de vie à proprement parler ou juste de matériel de navigation ? À quoi serviront une artillerie de moyens si l'on ignore vers où mettre le cap ? Ayant été habitué à un niveau de vie plus que décent comme la plupart des Français·e·s de la classe moyenne bercé·e·s au pied de l'ascenseur social, il m'a semblé naturellement contre-intuitif qu'une raison de vivre nette et précise avec peu de moyens mène à une vie bien plus heureuse qu'une abondance de moyens sans aucune fin concrète. Cette tendance s'est pourtant progressivement inversée dans mon esprit ces dernières années.
Gare à l'obésité des moyens
L'excès de moyens me fait le même effet que le gras du corps. Quelques réserves, en premier lieu, me sécurise. Néanmoins, en surplus déraisonnable, ces réserves m'handicapent pour avancer en mobilisant futilement le temps libre : est-ce que je veux vraiment accorder autant de ce temps à m'armer pour une bataille qui n'aura jamais lieu ? Suis-je condamné à passer un après-midi à essayer des tenues pour le mariage de ma sœur, ou à travailler d'arrache-pied pour pouvoir m'offrir une croisière de luxe en Méditerranée ? Suis-je réduit à passer une semaine à comparer des solutions d'assurance, ou à faire les comptes des dépenses mutuelles pour une soirée entre ami·e·s histoire de grappiller quelques centimes par mois ?
Privilégier les fins sur les moyens amène fatalement des situations d'inconfort, c'est vrai. Si tu lis régulièrement mes articles, j'ai déjà évoqué à quel point la perte peut être douloureuse bien qu'elle fasse partie intégrante de notre vie. Le bouddhisme vise justement à apprivoiser cette douleur.
Ne pas avoir fait les courses pour le soir alors que le frigo est vide, avoir oublié de faire tourner une lessive alors que l'on n'a plus de vêtement propre, faire un trajet en bus au lieu de prendre l'avion par conviction, arrêter des études qui ne nous plaisent pas et nous priver d'un diplôme, ne pas nous forcer à trouver à tout prix une personne que l'on n'apprécie pas forcément pour ne pas passer son Samedi seul·e, exposer notre point de vue à notre patron·ne en risquant de le·la froisser ou de dire adieu à une augmentation, arrêter de manger de la viande, nous engager auprès des plus vulnérables ou des discriminé·e·s, divorcer lorsque la situation devient invivable, tu tomberas d'accord avec moi sur le fait que ces situations inspirent tout sauf un esprit serein et apaisé. Nous serons pourtant amené·e·s à emprunter ce type de tournant si l'on prend la peine d'écouter notre voix intérieure. La satisfaction qui en découlera sera celle de distinguer bien plus nettement ce fameux phare, là-bas, au loin.
Divertissement ou aveuglement ?
En choisissant toujours la solution de confort, nous agissons comme des personnes corrompues, ou comme des fugitif·ve·s qui refusent de voir la réalité en face. La comparaison peut paraître agressive et accusatrice mais nous n'en sommes pas si loin. Loin de moi l'idée de te faire culpabiliser, j'estime qu'il est toujours bon de ne pas prendre de décisions aveugles malgré les contraintes qui peuvent en découler. Peut-être que nettoyer tes toilettes ne te met pas en appétit (laisse-moi éviter te penser le contraire s'il te plaît), mais un entretien régulier te permettra de les garder saines durablement. Comparaison fécale mise entre parenthèses, c'est d'ailleurs pour cela que les meilleur·e·s ami·e·s sont capables de nous dire ce que nous ne sommes parfois pas prêt·e·s à admettre, ce qui peut nous blesser sur l'instant, tout en sachant que ces conseils sont prodigués dans un seul but : nous guider vers ce qu'il y a de meilleur pour nous.
Le confort en excès dans lequel on s'évertue à rester mène fatalement au désarroi et à la platitude de l'existence : trimer pour partir chaque année en vacances, passer deux semaines les pieds sous la table à oublier un quotidien grisant puis repartir dans ce tunnel pour une nouvelle année, rythmée par l'attente de fêtes commerciales comme la fête des mères, Noël, la Saint Valentin et les jours Fériés censés célébrer une histoire commune qui nous importe finalement peu, et dont on tait souvent son lot d'abominations pour des aspects plus glorieux qui nous rassurent. D'où vient cette absence de questionnement individuel ? Le confort ne serait-il pas le divertissement par excellence ?
Profitons, si l'on en a la possibilité, de ce mois d'août pour nous réunir avec nos proches. Profitons-en pour passer du bon temps et laisser notre esprit voguer librement à la quête de beaux souvenirs. Mais pitié, profitons-en aussi pour prendre un peu de recul dans ce grand manège. Sommes-nous ici seulement pour tourner autour en contemplant les mois et les années s'écouler ? Notre époque regorge d'enjeux décisifs pour l'Humanité et tout le monde, sans exception, a son rôle à jouer dans ce grand projet à son échelle. Encore faut-il prendre le temps de définir, d'affiner et de préciser notre rôle. Affranchissons-nous au maximum des chaînes de la consommation et des divertissements à outrance pour récupérer davantage d'indices au sujet de notre mission. Ce serait dommage de passer à côté de la tienne, n'est-ce pas ?