L'imaginaire collectif

Salut à toi, mon ami·e. Ça farte ? Oh, la référence de mauvais goût. J'ai toujours eu du mal à partager ma passion pour Brice de Nice, va savoir pourquoi. De toute façon, il fait trop froid pour aller dompter les vagues.

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Dis-moi, as-tu des passions ?

On dirait presque une question d'entretien d'embauche. Heureusement tu n'es pas là pour ça, ne t'inquiète pas. Puis entre nous, je ferais un piètre patron; mis à part pour faire honneur à la bouffe pendant un repas d'affaires, à la rigueur.

Souvent, on peine à identifier la cause d'un engouement pour des sujets ou des activités; activités soit assez communes comme le jardinage, soit plus atypiques comme la collection de cuillères de pêche. Mais finalement, doit-on vraiment y accorder de l'importance pour dénicher nos passions ?

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On peut probablement s'accorder sur un point : dans notre société, il sera par exemple toujours plus facile de sympathiser avec des fous de sports d'hiver, porte-monnaie mis de côté, qu'avec des fans d'animaux empaillés. Ceci pour une raison très simple : une infime proportion de la population empaille des animaux. Par contre, les sports d'hiver sont assez répandus en France, avec un commerce développé et des infrastructures qui permettent de se retrouver rapidement, avec un effort raisonnable, à faire du schuss sur les pentes des Alpes.

Ce qui fait cette convergence vers des passions partagées, à différentes échelles, est que nous cherchons tou·te·s à ne pas nous exclure du groupe par nos actes. Quand notre opinion s'oppose à un consensus global, quand on pratique une activité très singulière ou que l'on s'intéresse à des sujets de niche, comme l'évolution des populations de galinettes cendrées dans les forêts du Jura, on se sent tout de suite plus précaires et déstabilisés. Dans ce cas précis, on ne peut trouver une forme d'adhésion et de validation qu'auprès des personnes qui s'intéressent de près ou de loin à l'évolution des populations de galinettes cendrées du Jura. Je ne sais pas s'il y a des galinettes cendrées dans le Jura, mais je trouve que ça sonne plutôt bien. Pas toi ?

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Ainsi, quel que soit le centre d'intérêt, la valeur accordée par nos pairs dépendra inévitablement de ce qu'il évoque pour eux. Durant toute notre vie, nous confrontons nos aspirations profondes avec celles que l'on estime être utiles à la société, et qu'on espère un jour voir reconnues. Agir sans obtenir l'adhésion de quiconque nous essoufflera sûrement très vite. Si l'on est incapable de comprendre les besoins d'autrui, d'écouter et de partager des intérêts, il sera immédiatement plus difficile de donner un sens à nos actes.

Nos centres d'intérêt sont construits au fil du temps par nos expériences, qui nous donnent une image des types d'activités ou personnes auxquels on souhaite dédier du temps. Toute forme d'art ou d'interaction sociale construit un imaginaire collectif, qui rendra l'approbation de nos semblables plus ou moins facile. Le plus cruel, dans cela, c'est que rien ne justifie qu'un consensus adopté par la communauté soit foncièrement le meilleur auquel on puisse parvenir pour le bien de tou·te·s.

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C'est à partir de ce constat que le militantisme prend, il me semble, tout son sens. Les opinions que chacun se forme sur divers sujets peuvent parfois résulter d'une paresse de raisonnement, dans le but de ne froisser personne ou de se trouver absolument une place, un moule auquel on peut s'identifier. Si l'on creuse un peu, on se rend compte que les arguments avancés par certaines personnes ne tiennent pas toujours la route.

S'opposer au groupe consensuel est synonyme d'exclusion, du moins temporaire. Sentiment d'ailleurs semblable à celui que l'on éprouve quand on se décourage au milieu d'un projet : le doute s'installe quant à l'intérêt du but poursuivi, on ne partage pas ou plus la vision des parties prenantes et donc, inévitablement, on finit par abandonner.

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D'où l'importance, selon moi, de nous entourer d'un minimum de personnes qui partagent, du moins en partie, notre état d'esprit du moment. Ce socle commun est pour moi essentiel dans le cadre d'un projet, d'une activité ou de simples amitiés forgées de passions et d'expériences. Il est aussi important de garder en tête que personne ne détient le Saint-Graal, que d'autres groupes de personnes ont des aspirations très différentes des nôtres et que même s'ils·elles nous répugnent au plus haut point, on a plutôt intérêt à composer avec qu'à nous braquer obstinément par entêtement. On pourra toujours avoir d'énormes consensus sur certains sujets, comme le fait que Brice de Nice est le meilleur surfeur de tous les temps par exemple. Quoi, je suis lourd ? Ah oui, pardon.

Pour faire bouger les lignes et entreprendre de grands changements dans l'intérêt de tou·te·s, je pense que l'imaginaire collectif a clairement son rôle à jouer. Si demain l'avion est perçu comme un moyen de transport irrespectueux de l'environnement, une personne sera de facto beaucoup moins tentée de prendre l'avion. Si elle le fait quand même, son estime d'elle-même sera dévalorisée au sein du groupe. Personne ne veut ça. Au contraire, si l'avion est davantage perçu comme un signe de réussite personnelle et de succès qu'un moyen de transport polluant, il est probable que le marché du transport aérien coule encore des jours heureux pendant quelques temps.

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Je pense que l'image que l'on souhaite renvoyer et celle que les autres personnes se font de nous, bien qu'inexacte, conditionne beaucoup de nos actions. Le fait que l'imaginaire collectif soit peu pris en considération dans les politiques publiques est sûrement lié au fait qu'il n'existe pas vraiment de moyen quantitatif de mesurer son impact dans la résolution de problèmes de société. Aussi, l'imaginaire collectif est une entité évoluant dans le temps long, à l'inverse de beaucoup d'aspects de notre vie : communications ultra-rapides, commandes en ligne, mandats électoraux de cinq ans... Il est aussi difficilement délimitable puisqu'il varie selon la région et le cercle social.

Le fait de ne pas voir rapidement les résultats de décisions à caractère qualitatif (politiques d'éducation, d'accès à la culture, construction de lieux de vie sociale...) nous angoisse profondément et rend nos indicateurs quantitatifs habituels désuets.

Je ne veux pas jeter la pierre à cette temporalité rapide qui s'est accompagnée de beaucoup d'innovations, comme Internet pour citer la plus connue. Seulement, cette temporalité ne peut pas s'appliquer à certains phénomènes, aussi indispensables que les autres pour notre survie : climat, démographie, géopolitique, phénomènes sociaux, éducation et j'en passe.

On aurait donc intérêt à se détacher parfois des chiffres, des résultats à court terme et à porter aussi attention aux indices que notre esprit et celui de nos pairs révèle sur ce qu'il adviendra de nous dans les années et décennies à venir. Ce qui peut d'ailleurs faire froid dans le dos quand on pense à tous nos amis qui ont l'esprit mal placé. À bon entendeur ! La bise, mon ami·e.

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